lundi 5 mai 2014

"Soutenu par le contrôleur, le vieux passa devant moi, en conversation de nouveau avec quelque interlocuteur invisible"


Marina dit/


























Non, mais c’est qui celle-là ! T’es qui toi ? T’es qui, d’abord ? T’es qui, j’te d’mande ? T’es qui, à me regarder comme ça ? T’es qui tout court… Tout court. Mais pas toi. Toi t’es là, figée. Tu m’regardes. T’es moche. Tu m’fais penser à ... Décoiffée. Blême. Cernée. On est cernés ? Toi ouais, en tous cas. Ouais. T’as mauvaise mine.

Ah, ça t’a surprise aussi. Cette porte qui a. Vlan. Clac. Fermée. Ouais, ça t’a surprise aussi. J’ai vu, t’as tourné la tête, vite fait. Mais c’que t’aime, c’est m’regarder. On dirait qu’t’as qu’ça à faire. T’as qu’ça à faire ou quoi ? Ah ! Aaaah ! Grrr… Ouais, c’est ça, tu m’réponds. Taquet. Tout pareil. A la seconde. Œil pour œil. Dent pour dent. C’est p’t'être bien plutôt à moi que tu m’fais penser en fait. 

Vlan. Vlan. Clac. Encore portes qui claquent. Et ces cris… Pas moyen d’être tranquille ici. Les portes ferment pas à clés. Et ouais. C’est bizarre. Ça t’étonne aussi, je vois. T’hausses les sourcils. Soucis. T’inquiète pas, va. Ça vient de la chambre d’à côté. T’es pas habituée encore ? Pourtant, ça fait un moment qu’t’es là ! À m’observer. J’me souviens plus quand t’es arrivée. A peu près comme moi, non ? J’me souviens même plus depuis combien de temps je suis là. Même plus. Même plus d’où j’étais avant. Avant ce froid blanc, gris métal froid aussi. Vlan, clac. Lumière m’aveugle. Murs verts. Glauques. Vers. De terre. Vers de terre dans ta chair. Et peur. J’ai peur. J’ai peur du loup. Du loup. Du vide. Du noir. 

Le seul endroit où je suis un peu bien, c’est ici. Scie. Scions, scions du bois. Tout est bien rangé ici. Rangées de carreaux bien rangés. Blancs. Lisses. Brillants. Un peu. Sauf au bout de la ligne. Y sont pas coupés bien droit. Mais j’regarde pas par là. Et puis, t’es là, toi, finalement. T’es là. A chaque fois. Avant, c’est le noir. Et j’ai peur du noir. C’est pour ça que j’viens ici. Ils laissent allumé toute la nuit, pour qu’on les dérange pas, quand on a envie. Mais dans la chambre, lumière, pas l’droit. Parait qu’ça dérange les autres. Parait. Comme si y’avait qu’ça, la lumière. Z’entendent pas les cris ou quoi ? Avant, y’avait pas ces cris. Des cris. Décris. Décris-moi avant. 

J’m’en souviens pas, mais y’avait pas ces cris. J’m’en souviens pas, mais j’ai mal, quand j’y pense. Quand j’y pense, ça saigne dedans. Là, ouais, là, dans la poitrine, t’as compris. T’es pas bavarde mais tu comprends vite. Ça saigne. Et ça hurle. Hurle. Femme qui hurle. Désespérée. Déchirée. Déchiquetée, dedans. Elle hurle. Enfin, elle veut hurler mais ça sort pas. Mais c’est fort. C’est fort. Trop fort. Arrête. Arrête, j’te dis ! Arrête. La tête contre les murs… Faut pas. La dernière fois, y z’ont pas aimé. Attachée. Dans mon lit. Plusieurs jours. Tu m’as manqué la dernière fois. Manquer. Manquer d’air. Un petit air. Sur le bord. Du ruisseau. D’avant. Trombes d’eau. La nuit, les phares, le choc, les cris. Toi, loin. Trop loin. Trop mal. Et la nuit, de nouveau.

Et j’ai peur du noir, j’t’ai dit.


Je leur ai dit, ferme les yeux, je vais te photographier. C'est la photographie de gauche. Je leur ai dit, pense à la présence d'une personne qui a compté dans ton existence, ou pense à la présence d'une personne que tu aimes... C'est la photographie de droite.

Est-ce que quelque chose change?
 




Le titre du billet est notre citation inspiratrice, extraite de Noël dans la barque, "Un thé bien fort et trois tasses" de Lygia Fagundes Telles.

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