Elle alluma sa quatorzième cigarette, la nuit était complètement tombée maintenant. Elle grelottait par intermittence dans sa petite tenue d’été et pensait au délice que cela serait d’enfiler un gros pull et un jean. Elle attrapa la bouteille au milieu du cercle et laissa l’alcool sucré couler longtemps dans sa gorge. Elle essuya sa bouche du revers de sa manche et glissa un œil vers Thomas, qui riait à l’autre bout du cercle.
Son rire sonore, franc, autoritaire. Les jeunes types postés
autour, qui riaient juste après lui, comme s’il avait validé l’humour de la
blague et autorisé que tout le monde y réagisse bruyamment. La pluie et le beau
temps. Pour elle, surtout la pluie. Et le soleil brûlant.
Il ne la regardait pas, il ne la regardait jamais. Elle devinait pourtant son odeur, de mémoire,
cette odeur de lessive de bon petit garçon. Et puis un peu de poivre et de
cannelle. Cette odeur dans laquelle elle aurait été prête à mourir si elle avait dû
l’asphyxier, cette odeur qui ressemblait au paradis. Et à l’éclosion de
deux mille papillons dans son ventre.
Il ne la regardait pas. Même pas en coin, même pas à la
dérobée. Elle avait juste l’air de ne pas du tout exister pour lui. Existait-elle
un peu pour lui ? Se souvenait-il ?
Le froid se fit plus sec, et ils avaient improvisé un petit
feu de bois. Ca sentait les pins et les rires se faisaient plus gras. Elle même sentait que des mots
qu’elle ne voulaient pas dire sortiraient bientôt de sa bouche. Bientôt elle
pourrait rire et pleurer, aimer le monde entier, et faire des confessions
compromettantes. Et demain, comme chaque fois, elle aurait un haut le cœur à
l’idée de toutes ces impudeurs. Pourtant, rien ne valait cette liberté qu’elle goûtait,
cette franchise conquise au prix de quelques décilitres de mauvaise sangria.
Mouvement de groupe vers la mer. Allez, on va se baigner.
Elle suivit et s’agrippa au bras d’une d’elles, une de
celles qui sans doute intéresseraient toujours plus Thomas qu’elle, aurait une
meilleure répartie, de plus jolis seins et des baisers plus experts. Elle ne savait
rien de l’amour, juste qu’elle voudrait tout apprendre de lui, fondre dans ses
boucles brunes, mordre ses joues et ses avant bras, embrasser ses yeux et
chacun des petits grains de beauté qui parsemaient délicieusement son corps.
De manière désorganisée, ils dévalèrent la pente des dunes
de sables, trébuchant et riant, jetant leurs vêtements au hasard. Chacun
s’approchait à son rythme de l’eau, les filles osant dénuder leur poitrine et
courir en riant. Les garçons exhibant leurs fesses blanches et rondes. Elle
délaça juste ses baskets.
La force des vagues lui fit peur, elles éclataient avec
fureur. La bouteille circulait et chaque gorgée l’aidait à remplacer ses
tremblements par une ivresse qui anesthésiait doucement son corps. Elle
s’approcha du rivage pour sentir le froid lui lécher les doigts de pied. Dans
la nuit, la mer était noire, profonde, inquiétante. Elle pourrait l’engloutir.
Comment ça serait de se laisser anéantir dans ce bain? Serait-ce
si inquiétant que ça ?
Elle chassa cette pensée fascinante et se tourna vers les
dunes derrière elle. Elle vit alors qu’il s’éloignait d’un pas vif. Fuyant le
groupe, et attirant avec lui une des filles. Elle se concentra sur la
silhouette féminine que la joie animait de charmants soubresauts. Elle avait
l’air si libre, elle riait en jetant sa tête en arrière. Marie devina la
perfection de ses dents blanches, elle devina la finesse de sa taille dans ce
pull où elle aurait eu l’air d’un éléphanteau maladroit. La jalousie mordit son
cœur. Et le chagrin répandit son eau tourmentée dans chacune de ses cellules.
L’eau noire lui parut soudain un
supplice moins cruel.
-Marie ?
Elle se retourna.
-Maxime ?
Il s’approcha d’elle : elle se sentit brumeuse,
ailleurs… Pas envie. Elle le regarda de nouveau, surprise de son manque
d’attention pour lui. Elle le connaissait depuis toujours et depuis toujours quand
il lui parlait, elle avait peur de s’ennuyer.
Elle se décida à l’observer. Pour la première fois.
Un peu ordinaire, comme elle l’était sans doute, des yeux noisette
derrière de petites lunettes en écailles. Des dents désordonnées, une bouche
trop fine, une banalité douce et finalement un peu charmante. Des yeux tristes.
Des yeux très tristes. Elle se sentit émue par la sincérité de cette tristesse.
-T’as le cœur mordu toi aussi ?
Il paru décontenancé.
-Euh, oui.
L’ivresse continua de lui délier la langue.
-Et toi, de qui t’es amoureux ?
Solidaire tout à coup de ce vieux compagnon d’enfance qui
devait vivre les mêmes méandres qu’elle.
-Tu veux savoir ?
-Oui, dis toujours, je pourrais te donner des conseils, on
ne sait jamais.
-De toi.
Une vague éclata et la fit douter quelques secondes de ce
qu’elle venait d’entendre. La surprise éclaira son visage.
Marina dit/
Le titre du billet est notre citation inspiratrice, extraite de La douleur de Marguerite Duras.
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